SINGE DE DIEU, TRÊVE À TES RUSES !
« De toutes façons, rien ne s’efface purement et simplement, et de tout ce qui disparaît, il reste des traces ». Jean Baudrillard.
L’art est-il contemporain ? La pratique de Richard Colin esquive avec souplesse le poids de ce sac à malices cautionné par l’étiquette galvaudée qui a pris nom d’ « Art contemporain » - cette baudruche que les fourriers du marché s’emploient à gonfler d’azote liquide, pour faire masse, dans l’impatience que les prix flambent. A 26 ans, Richard Colin, lui, ne court pas après sa cote. Et c’est de façon délibérée qu’il se porte à distance salubre du marigot, là même où s’exerce à plein, aujourd’hui, l’écœurante, la vaine, la piteuse collusion des agents, galeristes, curateurs et capitaines d’industrie, soucieux avant toute chose de spéculer sur la cote de leurs cupides poulains. Lui avance d’un pas léger - j’allais écrire : d’un pas doux - avec ce mélange d’assurance et de candeur qui fait aussi, joint à l’élégance naturelle de sa physionomie métisse, sa présence physique d’emblée si séduisante à qui l’approche.
Feu le grand-père paternel du jeune homme fut peintre, en son temps. Mais aussi pompier. Non pas « pompier » au sens académique, mais sapeur, sapeur-pompier. Un soldat du feu qui dans ses loisirs barbouillait du pinceau. L’aïeul convola avec une polonaise. La souche maternelle du Colin est, quant à elle, martiniquaise. Ce métissage originaire est-il la source souterraine de l’hybridation constante où ses recherches le portent, de la sculpture au dessin et à la peinture, du travail du bois à celui de la poterie, du portrait figuratif à la nature morte, de la représentation humaine à celle de l’animal – et en particulier de celui en qui, à tort ou à raison, nous nous projetons volontiers en miroir : le singe ?
Richard Colin, au contraire de nombre de ses pairs, n’a pas pour servir sa cause ce genre de discours rodé et dûment argumenté à déverser sur son « travail », sur la « cohérence » de son « parcours », pas de formules conceptuelles en forme de trousseau de clefs pour vous ouvrir des serrures à peu de frais. Il n’installe rien, ne théorise pas, ne conceptualise pas – au reste il n’a rien d’un bavard. Depuis l’adolescence, il dessine. On l’encourage. A 21 ans, il réussit le concours d’entrée aux Beaux-Arts de Paris. S’écoulent quelques mois où il se cherche, comme on dit, sans produire à ses propres yeux quoique ce soit de convainquant : à son professeur, Emmanuel Saulnier, il montre alors une sorte d’araignée à la Louise Bourgois, bricolée avec des trombones. Il s’entend commenter : « L’Art- est- Nié ». Merci Lacan. Vite, il prend du recul, et passe à autre chose.
Richard Colin se prend à regretter qu’à « l’Ecole », comme il est d’usage de dire, ait cours encore et toujours une nette scission, à l’échelle de l’enseignement, entre artistes et techniciens. On se prend à songer à l’une de ces sentences de Paul Valery qui ornent les frontons du palais de Chaillot, celle-ci évoquant « la main prodigieuse de l’artiste, égale et rivale de sa pensée », et dont le poète prend soin de préciser que « l’une n’est rien sans l’autre » - d’aucuns, par les temps qui courent, feraient bien de s’en aviser… L’étudiant s’inscrit dans l’atelier de sculpture d’Emmanuel Saulnier. Dans celui de François Boisrond, pendant deux ans, il approfondit les techniques de la peinture. Auprès de Patrice Alexandre, il apprend le modelage. Richard Colin développe ainsi sa grammaire artistique selon une logique sensible, dans la confrontation formelle (et physique) au matériau. Visitant un jour la Grande galerie de l’évolution, au Muséum d’histoire naturelle, il choisit de modeler en cire un chimpanzé. La figure du singe deviendra vite un topos de son œuvre, sous ses registres les plus variés. Sans doute parce que l’homme se mire et s’interroge continûment, depuis toujours, dans l’énigme de cette espèce-ci plus que dans n’importe quelle autre, mais aussi parce que, davantage que tout autre bête de la création, le singe s’immerge, pour notre regard immanquablement fasciné, dans l’Eden inviolé d’une nature nécessairement laissée à elle-même, (condition même de sa survie pour autant qu’il ne soit pas captif de l’homme). Au bas d’une peinture de grand format sur papier où vous fixe, de face, un grand macaque sur un fond stylisé de forêt vierge, Richard Colin incruste, en guise d’épigraphe, l’ultime parole du poète Saint-John Perse au seuil du trépas : « Singe de Dieu, trêve à tes ruses!». L’animal humain se doit à la divine rectitude.
Pétition de principe et exigence qui engagent l’artiste à se rapprocher de ce que Baudrillard appelait les « peuples du miroir » - ceux qui tendent encore vers nous le regard lointain des origines. Je me souviens qu’un jour, au cours d’une conversation, Richard Colin se moquait gentiment de ces étudiants qui, aux Beaux-Arts, peignent, m’assurait-il, avec un catalogue Picasso ouvert sur les genoux. L’art a son Histoire, certes, mais il s’agit précisément de la poursuivre, de la déplacer, de l’égarer en quelque sorte - et non de marcher dans ses pas selon une posture de respect tétanisé. En quatrième année des Beaux-Arts, un voyage d’étude en Guyane – pas très loin de la terre de ses ancêtres – infléchit son esthétique de façon déterminante. Sous les auspices d’un collectif d’artistes» créé en association avec sept praticiens – et baptisé, comme de juste, « Degré Sept » - Richard Colin retournera encore deux fois dans la région caribéenne. Rencontrant les Amérindiens, il se liera avec la communauté de « noirs marrons » Saramakas - ainsi appelés, comme l’on sait, non pas à cause de leur couleur de peau, mais en référence à l’acte de « marronner » c’est-à-dire de fuir l’esclavage. Construisant avec eux, en forêt, un tambour géant – car ces autochtones sont aussi musiciens. Récemment, il sera encore rappelé en Guyane par une métropolitaine, Maryse Buira, pour travailler sur un « kimboto », arbre sacré pour les Amérindiens, déraciné par un cyclone, et sous lequel la veuve avait pieusement enterré les dépouilles de son époux défunt. En 2015 Richard Colin repart en Martinique pour sculpter, à l’image de ces pirogues ancestrales traditionnelles Saramakas appelées Jbebii Boto, et sur le modèle des versions miniatures vendues aux touristes, une embarcation de plus de quatre mètres, taillée dans la masse imposante d’un bois de magnolia - revivifiant ainsi une culture en voie de disparition, celle de la sculpture « Tembé », à l’ornementation complexe.
Art néo-ethnique ? Pour Richard Colin, et quoiqu’il ait grandi à Gennevilliers et Argenteuil, dans la banlieue de Paris, bien plutôt tentative d’enraciner sa création, moins directement dans le vaste fond iconographique de l’Occident, que dans la quête sauvage, hasardeuse, stimulante, de ces « immémoriaux » dont nous sommes pétris et dont les traces subsistent à l’état brut, de façon énigmatique, dans cette tragique Arcadie tropicale où par son entremise refont surface les couches archéologiques de traditions et d’épreuves plus ou moins anciennes, mais vivaces, composites, telles qu’elles se voient par lui sur le tard extraites ainsi à nouveaux frais de leur tuf primitif.
Excellent portraitiste, dessinateur au trait confondant de précision et de délicatesse, coloriste hors pair, Richard Colin réunit en lui tous les talents d’un plasticien qui – qualité devenue rarissime dans une discipline aussi manifestement frappée de décadence et de médiocrité – n’usurpe pas le nom d’artiste, au sens où son idéal d’authenticité reste chez lui le fondement et le garant d’une éthique du geste artistique. Au reste, Richard Colin a le talent – et donc le temps pour lui.
- Rémi Guinard
L’art est-il contemporain ? La pratique de Richard Colin esquive avec souplesse le poids de ce sac à malices cautionné par l’étiquette galvaudée qui a pris nom d’ « Art contemporain » - cette baudruche que les fourriers du marché s’emploient à gonfler d’azote liquide, pour faire masse, dans l’impatience que les prix flambent. A 26 ans, Richard Colin, lui, ne court pas après sa cote. Et c’est de façon délibérée qu’il se porte à distance salubre du marigot, là même où s’exerce à plein, aujourd’hui, l’écœurante, la vaine, la piteuse collusion des agents, galeristes, curateurs et capitaines d’industrie, soucieux avant toute chose de spéculer sur la cote de leurs cupides poulains. Lui avance d’un pas léger - j’allais écrire : d’un pas doux - avec ce mélange d’assurance et de candeur qui fait aussi, joint à l’élégance naturelle de sa physionomie métisse, sa présence physique d’emblée si séduisante à qui l’approche.
Feu le grand-père paternel du jeune homme fut peintre, en son temps. Mais aussi pompier. Non pas « pompier » au sens académique, mais sapeur, sapeur-pompier. Un soldat du feu qui dans ses loisirs barbouillait du pinceau. L’aïeul convola avec une polonaise. La souche maternelle du Colin est, quant à elle, martiniquaise. Ce métissage originaire est-il la source souterraine de l’hybridation constante où ses recherches le portent, de la sculpture au dessin et à la peinture, du travail du bois à celui de la poterie, du portrait figuratif à la nature morte, de la représentation humaine à celle de l’animal – et en particulier de celui en qui, à tort ou à raison, nous nous projetons volontiers en miroir : le singe ?
Richard Colin, au contraire de nombre de ses pairs, n’a pas pour servir sa cause ce genre de discours rodé et dûment argumenté à déverser sur son « travail », sur la « cohérence » de son « parcours », pas de formules conceptuelles en forme de trousseau de clefs pour vous ouvrir des serrures à peu de frais. Il n’installe rien, ne théorise pas, ne conceptualise pas – au reste il n’a rien d’un bavard. Depuis l’adolescence, il dessine. On l’encourage. A 21 ans, il réussit le concours d’entrée aux Beaux-Arts de Paris. S’écoulent quelques mois où il se cherche, comme on dit, sans produire à ses propres yeux quoique ce soit de convainquant : à son professeur, Emmanuel Saulnier, il montre alors une sorte d’araignée à la Louise Bourgois, bricolée avec des trombones. Il s’entend commenter : « L’Art- est- Nié ». Merci Lacan. Vite, il prend du recul, et passe à autre chose.
Richard Colin se prend à regretter qu’à « l’Ecole », comme il est d’usage de dire, ait cours encore et toujours une nette scission, à l’échelle de l’enseignement, entre artistes et techniciens. On se prend à songer à l’une de ces sentences de Paul Valery qui ornent les frontons du palais de Chaillot, celle-ci évoquant « la main prodigieuse de l’artiste, égale et rivale de sa pensée », et dont le poète prend soin de préciser que « l’une n’est rien sans l’autre » - d’aucuns, par les temps qui courent, feraient bien de s’en aviser… L’étudiant s’inscrit dans l’atelier de sculpture d’Emmanuel Saulnier. Dans celui de François Boisrond, pendant deux ans, il approfondit les techniques de la peinture. Auprès de Patrice Alexandre, il apprend le modelage. Richard Colin développe ainsi sa grammaire artistique selon une logique sensible, dans la confrontation formelle (et physique) au matériau. Visitant un jour la Grande galerie de l’évolution, au Muséum d’histoire naturelle, il choisit de modeler en cire un chimpanzé. La figure du singe deviendra vite un topos de son œuvre, sous ses registres les plus variés. Sans doute parce que l’homme se mire et s’interroge continûment, depuis toujours, dans l’énigme de cette espèce-ci plus que dans n’importe quelle autre, mais aussi parce que, davantage que tout autre bête de la création, le singe s’immerge, pour notre regard immanquablement fasciné, dans l’Eden inviolé d’une nature nécessairement laissée à elle-même, (condition même de sa survie pour autant qu’il ne soit pas captif de l’homme). Au bas d’une peinture de grand format sur papier où vous fixe, de face, un grand macaque sur un fond stylisé de forêt vierge, Richard Colin incruste, en guise d’épigraphe, l’ultime parole du poète Saint-John Perse au seuil du trépas : « Singe de Dieu, trêve à tes ruses!». L’animal humain se doit à la divine rectitude.
Pétition de principe et exigence qui engagent l’artiste à se rapprocher de ce que Baudrillard appelait les « peuples du miroir » - ceux qui tendent encore vers nous le regard lointain des origines. Je me souviens qu’un jour, au cours d’une conversation, Richard Colin se moquait gentiment de ces étudiants qui, aux Beaux-Arts, peignent, m’assurait-il, avec un catalogue Picasso ouvert sur les genoux. L’art a son Histoire, certes, mais il s’agit précisément de la poursuivre, de la déplacer, de l’égarer en quelque sorte - et non de marcher dans ses pas selon une posture de respect tétanisé. En quatrième année des Beaux-Arts, un voyage d’étude en Guyane – pas très loin de la terre de ses ancêtres – infléchit son esthétique de façon déterminante. Sous les auspices d’un collectif d’artistes» créé en association avec sept praticiens – et baptisé, comme de juste, « Degré Sept » - Richard Colin retournera encore deux fois dans la région caribéenne. Rencontrant les Amérindiens, il se liera avec la communauté de « noirs marrons » Saramakas - ainsi appelés, comme l’on sait, non pas à cause de leur couleur de peau, mais en référence à l’acte de « marronner » c’est-à-dire de fuir l’esclavage. Construisant avec eux, en forêt, un tambour géant – car ces autochtones sont aussi musiciens. Récemment, il sera encore rappelé en Guyane par une métropolitaine, Maryse Buira, pour travailler sur un « kimboto », arbre sacré pour les Amérindiens, déraciné par un cyclone, et sous lequel la veuve avait pieusement enterré les dépouilles de son époux défunt. En 2015 Richard Colin repart en Martinique pour sculpter, à l’image de ces pirogues ancestrales traditionnelles Saramakas appelées Jbebii Boto, et sur le modèle des versions miniatures vendues aux touristes, une embarcation de plus de quatre mètres, taillée dans la masse imposante d’un bois de magnolia - revivifiant ainsi une culture en voie de disparition, celle de la sculpture « Tembé », à l’ornementation complexe.
Art néo-ethnique ? Pour Richard Colin, et quoiqu’il ait grandi à Gennevilliers et Argenteuil, dans la banlieue de Paris, bien plutôt tentative d’enraciner sa création, moins directement dans le vaste fond iconographique de l’Occident, que dans la quête sauvage, hasardeuse, stimulante, de ces « immémoriaux » dont nous sommes pétris et dont les traces subsistent à l’état brut, de façon énigmatique, dans cette tragique Arcadie tropicale où par son entremise refont surface les couches archéologiques de traditions et d’épreuves plus ou moins anciennes, mais vivaces, composites, telles qu’elles se voient par lui sur le tard extraites ainsi à nouveaux frais de leur tuf primitif.
Excellent portraitiste, dessinateur au trait confondant de précision et de délicatesse, coloriste hors pair, Richard Colin réunit en lui tous les talents d’un plasticien qui – qualité devenue rarissime dans une discipline aussi manifestement frappée de décadence et de médiocrité – n’usurpe pas le nom d’artiste, au sens où son idéal d’authenticité reste chez lui le fondement et le garant d’une éthique du geste artistique. Au reste, Richard Colin a le talent – et donc le temps pour lui.
- Rémi Guinard
EXPOSITIONS
Expositions personnelles
Expositions collectives
Prix/Bourse
Publications
- 0ctobre 2016: exposition personnelle, Le Chic, Deauville
- Juillet 2015: "Esprit planète" inauguration, Rennes
- Novembre 2013: exposition atelier Saulnier, (diplôme de fin d'étude), ENSBA
- Mai 2012: «Scaphandre», Six-Huit, Paris
- Décembre 2012: exposition personnelle au Six-Huit, Paris
- Mai 2012: exposition au Stoke Bar, Barcelone, Espagne
- Juin 2011: exposition atelier Saulnier, (diplôme de 1er cycle), ENSBA
- Juin 2010: exposition personnelle atelier Saulnier, ENSBA
Expositions collectives
- Février 2018: «R.A.T.A.F.I.A», collectif 23, Paris
- Octobre 2017: «Forest Art», résidence d’artiste en Guyane, forêt des Malgaches
- Mars 2015: exposition «louées soient les oeuvres» à la favela chic, Paris
- Septembre 2014: résidence d’artistes en Guyane Française, «Kimboto résonne»: Finalisation de prototypes de mobilier et jeux pour la ludothèque de Mana et réalisation d’une fresque pour la ludothèque de mana
- Juin 2014: résidence d’artistes en Guyane Française, « Kimboto sonne»:réalisation de prototypes de mobilier et jeux pour la ludothèque de Mana
- Juillet 2012: «Désir de liens», exposition, atelier Saulnier
- Mai 2012: «Jardin extraordinaire» parc du Génitoy, Bussy Saint-Georges
- Février 2012: exposition «peintres sur seine» au Six-Huit, Paris
- Décembre 2012: exposition « je vous imagine tel que vous êtes», galeries gauche et droite, ENSBA
- Octobre/Novembre 2011: exposition «les voyages de la terre», galerie du CROUS
- 2011: portes ouvertes ENSBA, Palais des études
- 2011: portes ouvertes ENSBA, Atelier de modelage
- 2011: «Techné», galerie du CROUS
- 2010: exposition atelier Boisrond, galeries gauches et droite, ENSBA
- 2010: exposition atelier de modelage, galeries gauche et droite, ENSBA
- 2010: expositon atelier Saulnier, galeries gauche et droite, ENSBA
- 2010: «diffraction», galerie gauche et droite, ENSBA
- 2010: «ébauches», exposition au Palais de la découverte, Paris
Prix/Bourse
- Forest art, 2015
- FEAC, 2014
- Bourse d'aide au diplôme national supérieur d'arts appliqués, 2013
- Prix Paris Jeune Aventure, 2011
Publications
- Édition: " La terre ronchonne. (Une expérience en milieu médico-social)", 2018
- Édition : "R.A.T.A.F.I.A", 2018
- Edition «KIMBOTO (un projet du collectif degré 7 avec des sculpteurs de l’ouest Guyanais), 2017
- Édition: "entre les lignes de l'arbre", 2014
- Catalogue des diplômés 2013, Edition Beaux Arts De Paris Et Ministère De La Culture Et De La Communication, 2013
- Catalogue «jardins extraordinaires», 2013
- Edition « Degré 7 en Guyane, rencontre avec les potières amérindiennes Kalin’a», 2012
|
|
|